Vivre un moment de bonheur intense, et après ?

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Nous avons parfois la chance de vivre un temps de bonheur particulièrement fort, au cours d’un voyage, d’une retraite de méditation, d’un stage de yoga ou de toute autre occasion. Ce peut être le sentiment d’une communion parfaite avec l’univers, d’une harmonie intérieure absolue, d’être aimé de manière inconditionnelle par une source d’amour infinie, d’aimer soi-même sans limitation ou encore de vivre avec les personnes qui nous entourent des relations tellement profondes et harmonieuses que nous ressentons une paix et une plénitude intenses.

Mais le point commun de toutes ces expériences, quelque soit leur diversité, c’est qu’elles n’ont qu’un temps. Et nous avons parfois du mal à accepter le retour à la vie quotidienne, qui peut nous paraître tellement terne et insipide en comparaison avec ces moments de bonheur si profond que nous venons de vivre.

Notre première réaction quand nous avons vécu un moment très heureux, c’est souvent de ne pas avoir envie que cela se termine, de vouloir demeurer dans cet état de grâce que nous avons vécu. Le problème c’est que cela nous bloque dans le passé et nous empêche d’aller de l’avant. Cela peut même, paradoxalement, faire naître en nous du regret et de l’amertume au lieu de la joie et de la gratitude : j’ai vécu ce moment de bonheur intense et maintenant je suis retombé dans mon état habituel, avec toutes mes difficultés, et je ne peux pas accepter ce retour au réel.

La vie nous appelle à dépasser ce premier mouvement, à accepter de lâcher prise et de poursuivre notre vie quotidienne, enrichi de nos expériences et en cultivant la gratitude pour les avoir vécues, sans pour autant s’attacher à elles, sans vouloir revivre à tout prix ces moments si particuliers. Même si certains temps forts peuvent nous marquer pour toujours et nous conduire à donner une toute autre orientation à notre vie, nous avons, de toute façon, à revenir dans notre quotidien.

Et c’est là que se trouve un autre risque : penser que ce quotidien est dénué de valeur, parce qu’il n’est pas aussi intense et que nous devons attendre notre prochain stage ou notre prochaine retraite pour continuer à avancer. Or, c’est justement ce quotidien qui nous permet d’aller de l’avant. Comme le disait Arnaud Desjardins : nous ne progressons pas malgré les difficultés de la vie quotidienne, mais grâce à elles. Il donnait l’image d’un escalier : les marches peuvent être vues comme l’obstacle qui nous interdit d’accéder à l’étage supérieur, mais en réalité elles sont le moyen même pour y parvenir.

Certes les grandes expériences peuvent nous permettre d’apercevoir l’étape suivante, mais seule la vie quotidienne nous permettra d’y arriver, en nous offrant les occasions de mettre en pratique ce que nous avons perçu et reçu. Si, par exemple, vous avez eu la chance de vivre un temps pendant lequel vous avez ressenti un amour intense pour toute l’humanité, seule la mise en pratique de cet amour dans votre quotidien, avec votre conjoint, votre famille, vos amis, vos collègues de travail, vos voisins etc, vous permettra de poursuivre cette expérience dans le réel, de la concrétiser et d’éviter de vous illusionner sur vous-même.

Et nous aurons aussi à être attentifs à notre ego, qui tente de retourner à son profit nos expériences spirituelles, même les plus fortes et les plus profondes, en nous disant : l’important c’est moi et je suis d’autant plus important que ce sont mes capacités qui ont permis cette expérience ou qui lui permettront de durer. Et plus notre expérience a été forte, plus nous devons être attentifs à ne pas laisser l’ego la récupérer et nous priver de ses fruits. En outre, ce n’est pas parce que nous avons l’impression d’avoir déjà beaucoup appris, beaucoup progressé, que nous sommes à l’abri de ces tentatives de récupération : l’ego ne lâche pas prise facilement …

Dernier point : après un temps fort nous pouvons avoir la tentation de l’activisme, qui nous conduit à vouloir tout changer dans notre vie, à nous lancer tout de suite dans telle ou telle activité. C’est un vrai piège, qui offre à l’ego la satisfaction de se sentir utile et important et lui permet de rester aux commandes de notre vie. Et c’est un piège d’autant plus subtil qu’en nous plongeant dans l’action nous pouvons, effectivement, faire du bien autour de nous, au moins dans un premier temps et pour certaines personnes. Mais nous ne pouvons pas porter de fruits réels et durables si nous agissons principalement pour nous donner, et donner aux autres, une bonne image de nous-mêmes.

Après une expérience marquante, nous devons nous tourner, d’abord et avant toute action, vers notre être profond, la Vie en nous, quelque soit le nom que nous lui donnons, à l’écouter et, ensuite seulement, à agir à partir de ce qui aura été touché, transformé en  nous par cette communion avec cette Vie. Concrètement, il est bon de chercher, d’abord, à approfondir cette expérience dans notre intériorité et à la laisser se traduire d’elle-même dans notre vie quotidienne, au fil de l’eau, pour attendre de voir ce que cet approfondissement et cette incarnation nous donneront envie de faire.

Pour aller plus loin sur ce thème, un livre très utile : Après l’extase la lessive, de Jack Kornfield.

Stéphane

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